Press "Enter" to skip to content

En Guyane, la cocaïne côté pile et côté crack

previous arrow
next arrow
previous arrow
next arrow

Devenu une des principales routes du trafic de cette drogue convoitée, le département ultramarin voit son nombre de consommateurs augmenter chaque année. Mais la substance, selon qu’elle est sniffée ou fumée sous forme de crack, capte des profils différents d’usagers. Souvent ignorés par les pouvoirs publics.

Centre-ville de Cayenne, le chef-lieu aux 60 000 habitants. La matinée s’achève à l’ombre des façades coloniales délabrées du très populaire quartier De Gaulle. Ça fait déjà plusieurs heures que le petit groupe fume du crack, à la vue des passants et des oiseaux tyrans. Etalés sur quelques cartons, le caillou – un demi-gramme de cocaïne en poudre cristallisé avec de l’ammoniaque ou du bicarbonate -, les pipes qui servent à le consommer, des canettes de 8.6, quelques vieux pneus pour faire office de sièges, tout est là. Un fourgon de police passe au bout de la rue. Personne ne bouge. «Les policiers nous connaissent, ils savent que ça sert à rien de nous arrêter», sourit Odalys, une Dominicaine de 47 ans, avant de tirer sur une pipe

 «La Guyane, c’est une terre de parias : c’est la mère adoptive de tous les paumés du monde, de tous les rejetons de la galère», philosophe Nicolas, campé dans sa salopette en jean trouée, bagues aux doigts et collier de coquillages autour du cou. Le groupe s’est installé rue Rouget de l’Isle, à proximité du Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), une large grille sur le trottoir d’en face où les consommateurs de crack passent chercher un sandwich, une pipe neuve, prendre une douche, effectuer une lessive ou simplement trouver une oreille attentive. Les travailleurs sociaux estiment à 500 le nombre de consommateurs de crack à Cayenne, arpentant le quartier De Gaulle, la place de la cathédrale ou le marché. Près de 800 dans toute la Guyane. Soit, rapporté aux 300 000 Guyanais, une prévalence bien supérieure à la moyenne nationale.

Une des solutions pour sortir les usagers de ce cercle vicieux : les éloigner, physiquement. A quatre heures à l’est de Cayenne, dont une en pirogue, l’association du Germe a installé un refuge agricole pour consommateurs en pleine forêt. Au milieu d’une clairière où s’ébattent moutons et dindes, une quinzaine d’anciens polytoxicomanes vivent en quasiautarcie. Seule drogue autorisée : le tabac. «L’objectif, c’est de les délivrer de leurs deux plus grands démons : la rue et le produit, annonce Hervé Latidine, ancien bénévole du Secours catholique, qui a créé l’association en 2007. On leur donne un lopin de terre, de quoi le nettoyer, du calme, et puis à eux de se battre avec leurs addictions.» Sans aide médicale, aucun soignant n’étant présent sur place.

C’est sous les tôles du carbet central, un abri de bois typique, qu’en janvier nous avons rencontré Patrick, la soixantaine, parmi une demi-douzaine de résidents – des Amérindiens, des Brésiliens, des Créoles – venus de toute la Guyane. «La seule solution, c’est de s’éloigner du produit», confie l’ancien charcutier traiteur d’origine métropolitaine, qui reconnaît n’avoir pu s’empêcher de replonger chaque fois qu’il est repassé à Cayenne. Même après six mois de sobriété, il sait qu’il sera toute sa vie hanté par le produit. «Le manque de crack, c’est comme croiser à chaque seconde une très belle femme dans la rue qui vous demande un baiser, résume-t-il avec un sourire mélancolique. Il faut une vie pour en sortir, une seconde pour retomber.»